Le point de départ de la présente réflexion concerne la fortune de l'oeuvre camusienne, mais un aspect de cette fortune qui se situe hors des spheres savantes. Depuis une vingtaine d'années, nous avons souvent remarqué que Camus est cité dans des contextes non littéraire, philosophique ou politique. Certes, on voit couramment de grands auteurs cités sur des objets du quotidien, comme des agendas, mais ce que nous avons observé par rapport aux citations camusiennes releve d'un emploi plus ciblé : elles sont utilisées par des associations caritatives, des organismes communautaires, ou dans des documents liés a la thérapie personnelle et au dépassement de soi. Les exemples que nous avons glanés au fil des ans dégagent un objectif commun : ils se réferent a Camus pour dire la résilience.
Leur style varie cependant, et pour cette raison, nous les classerions en deux catégories. L'une d'elles se décline sur un registre individuel et introspectif. Sa phrase emblématique pourrait etre celle-ci, tirée de « Retour a Tipasa » dans le recueil L’Été, et que nous avons maintes fois aperçue par hasard : « Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible ». Quoique cet autre passage du meme essai soit aussi éloquent : « garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe a l'injustice, et retourner au combat avec cette lumiere conquise » (OC III, 613).
La deuxieme catégorie stylistique, plus impersonnelle et impérative, adopte la position debout comme métaphore. Cet alexandrin rythmé, avec une rime a l'hémistiche, la représente bien : « Plutôt mourir debout que de vivre a genoux » (OC III, 73). Tout comme la phrase emblématique précédente, nous avons repéré cette antithese dans divers documents. Chaque fois, on l'attribue a Camus ; il n'en est peut-etre pas l'inventeur mais l'utilise avec brio dans L'Homme révolté, pour montrer que le révolté se tient debout malgré sa misere.